Farrebique / Biquefarre
Tourné en décors réels, avec des acteurs du cru, la plupart de sa propre famille, Farrebique est un O. P-rojeté- N. I. dans la production cinématographique de 1946. Il devance la nouvelle vague de quinze années et les paysans acteurs de Rouquier ont visiblement influencé le jeu (?) de Jean-Pierre Léaud (ok, ça se veut une vacherie!).
Entre Jour de fête de Tati et L'Atalante de Jean Vigo, Rouquier montre les choses qu'il connaît, avec une simplicité pourtant parfois lyrique : J’aime le documentaire, parce qu’il est l’expression cinématographique de la vérité. Farrebique est un "film vrai" parce qu’il a été tourné dans un vrai village du Rouergue avec de vrais paysans pour interprètes. Je veux faire vrai et simple explique t-il.
Certains critiques ne se trompent pas: "Voici un film qui vivra longtemps dans la mémoire de ceux qui auront la chance, un jour, de tomber sous son charme" (The New York Times, 24 février 1948.);
"Je suis de ceux qui sont sortis de la projection de Farrebique complètement bouleversés. Rares en effet sont les films où l'on sent à ce point la présence du cœur. Mais plus encore peut-être, ce qui m'émeut profondément dans le film de Rouquier, en même temps que cet amour de la nature d'une force lyrique extraordinaire, c'est sa pureté." (Marcel Carné, 4 octobre 1946);
"Je tiens Farrebique pour un grand événement. Un des très rares films français qui, ait pressenti la révolution réaliste dont le cinéma avait besoin (…)Un critique cinématographique, sans doute trop distingué, se plaint dans son papier d'avoir vu les vaches bouser, la pluie tomber, les moutons bêler, les paysans patoiser, de quoi, dit-il, le dégoûter de la campagne. De quoi vous dégoûter des critiques de cinéma." (André Bazin, critique).
En 1983, Rouquier retourne à Farrebique et plante sa caméra aux mêmes endroits. Pas
tout à fait, la vieille ferme est abandonnée pour une maison moderne avec du formica. Le puis, le four à pain sont en ruine. La motorisation à gagné la campagne et les champs se sont vidés des animaux. Raoul vend sa ferme pour aller
travailler en ville. Il refuse de faire des animaux en batterie, de remplir des papiers, de doser les aliments médicamenteux et les poisons insecticides.
L'industrialisation a bouleversé un mode de vie. L'endettement est entré dans les moeurs: Il faut s'agrandir, encore s'endetter, rabbache le fils au père incrédule. Construire des bâtiment modernes et s'équiper d'une machinerie infernale. Faut-il vendre Biquefarre?
L'argument est ténu mais ce n'est pas l'important. La narration de Rouquier est précise, il dresse un tableau en forme de réquisitoire sur le renversement des valeurs. Il n'y a rien à ajouter au montage, en parallèle, des scènes d'allaitement des veaux sous la mère, tendrement léchés, et en batterie, la tète dans un sceau, cherchant le contact, leurs cous hors des grilles des boxes. Il montre l'incarcération, le défilé des vaches et la traite à la chaîne. La force du documentariste tient dans son effacement, reste un long silence accusateur. Il croque le portrait d'une campagne désormais sans animaux, celui d'un paysan ouvrier, simple rouage d'une machine qui le dépasse.
Le réalisateur est décédé à 80 ans, en 1989. Il existe dans l'écriture des sécheresses fertiles. L'écriture de Rouquier a la concision, la sérénité et la rigueur austère d'un classique. M. Morandi; Il Giorno (Venise), 1983.
Farrebique / Biquefarre, complètement ignoré en France, est régulièrement étudié dans les universités et les écoles de cinéma américaines. Il est cité par Spielberg et Coppola comme un film essentiel dans l'Histoire du 7e art.
Farrebique ou les quatre saisons; 1947; Grand Prix de la Critique internationale à Cannes (1946), Grand Prix du Cinéma français (1946 ), Médaille d'or à Venise (1948), Grand Epi d'or à Rome (1953).
Biquefarre; 1983; Grand Prix Spécial du Jury au Festival de Venise 1983; Sélection à Cannes 1983